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Entretien avec Jacques Moiroud

Dernière mise à jour : 3 nov.

Dans le cadre de l'exposition GRAVISSIME, Estampille a souhaité donner la parole à Jacques Moiroud, artiste, graveur, et dessinateur. Cet entretien met en lumière son parcours, sa démarche artistique, ses inspirations, sa pensée plastiques et sa vision du monde.


Interview de Jacques Moiroud par Ryan Kowalski

Octobre 2025


Est-ce que tu pourrais m'expliquer rapidement ton parcours ?

À la fin des années 90, j'ai eu un grave accident de moto et j'ai failli y laisser la peau. J'ai alors décidé de changer de direction. J'avais déjà plus de 35 ans, et je me suis lancé dans ce que j'avais vraiment envie de faire, et ça s'est trouvé être le dessin, la peinture, puis plus tard la gravure. J'ai commencé sur le tard, car j'ai eu la chance de partir vivre à New York, là-bas j'ai pu pratiquer ces techniques autant que je voulais. Je suis allé à la Art Students League of New York, un lieu ouvert au public où tout le monde peut aller, pour pas très cher, et dessiner. À ce moment, je faisais beaucoup de dessins, notamment beaucoup de dessins dans les rues. C’est dans cette école qu’on m’a dit que mes dessins étaient parfaits pour la gravure. C'est comme ça, au début des années 2000, que j'ai commencé à faire de la taille douce notamment sur cuivre, et de la taille d’épargne. La gravure paraissait, pour moi, plus saillante techniquement et m'a permis de faire des grands formats, comme ceux choisis pour l'exposition. Ce sont des grands portraits, des portraits d'amis ou de gens qui ont bien voulu poser pour moi.


Peux-tu nous expliquer ta démarche artistique et les étapes de ton processus de création ?

Ma pratique consistait d'abord à dessiner, à faire des portraits en grand format et ensuite à partir de ces dessins faire une matrice sur lino. Je dessine sur papier ou directement sur calque, que je transfère sur le lino et seulement ensuite je prends un marqueur fin et redessine. C’est là que je fais apparaître le détail des matières et des textures, la complexité de tous les éléments de l'image. Ce qui m'intéresse, c’est le passage d’un processus qui est assez long : le tout prend plusieurs semaines. Je taille, je coupe, tout ça prend un certain temps et puis quand ça c'est fait, on passe à l’impression. Il n’y a pas de repentir dans la taille d'épargne sur linoléum, si tu fais une erreur, que la gouge part trop loin, c’est un heureux accident, et ça me plaît bien ça. Mais, un truc que tous les graveurs connaissent, c'est cette angoisse du résultat quand tu imprimes et que tu n’as pas encore vu ce que ça allait donner. La gravure est un prolongement du dessin, comme on pourrait dire que la peinture est aussi un prolongement du dessin, avec des couleurs, moi je ne fais pas de couleur ou très peu.

Le portrait est un sujet noble.


Penses-tu que ton séjour à New York a influencé ton travail artistique ?

New York, c’est plutôt une expérience de vie, j’ai eu beaucoup de chance, c’est un endroit très dynamique où j'ai rencontré beaucoup d'artistes. Mais je rechigne un peu à dire que “oui c'est New York” ou “oui c'est les États-Unis” qui ont influencé mon travail. Je ne sais pas ce qui a influencé mon travail. Je ne sais pas si c'est important de savoir ceux qui ont influencé l’artiste ou le musicien. J'évite d'ailleurs de lire des livres d'art ou de trop souvent aller au musée de peur d'être influencé. Quand j'ai pris des cours, j'écoutais pas beaucoup, j'étais un peu le cancre au fond de la classe. J'avais pas envie d'écouter ce qu'on me disait. Je n'ai pas de maître artistique, je suis autodidacte. J'ai découvert plein de trucs aux États-Unis, tu n’as pas le même point de vue, tu n’es pas exposé aux mêmes trucs que tu vois ici en France et inversement. Ma culture est plus américaine, comme en matière de musique, parce que je suis aussi un musicien amateur, j'ai très peu d'intérêt pour la musique française.


Pourquoi choisir la gravure comme médium, qu’est-ce qui t'intéresse dans la gravure ? 

Ce qui m'intéresse dans la gravure, c’est la magie de la presse. La peinture, au bout d'un moment, m'a fait chier. Dans la gravure, les matières, les odeurs me plaisaient davantage. Sur le papier, l'encre, les outils, la presse, tout ça c'est une expérience. Je ne peux pas dire que je suis allé instinctivement à la gravure. C'est parce que je dessinais et mon intérêt, c'est vraiment le dessin. Je m'en fous si je dois arrêter un jour la gravure, je continuerai à dessiner. D'ailleurs, c'est un peu ce que je fais en ce moment, je dessine beaucoup et je grave très peu. J'ai découvert un truc en dessinant, la force de la ligne. Il y a une sorte de puissance dans le dessin qui ne fait qu'être dilué par les autres pratiques. La façon dont je dessine est unique à moi, au bout d'un moment si tu en fais beaucoup, on va te reconnaître, c’est comme les grands maîtres, tu reconnais le peintre à la technique avant de regarder l’étiquette.


Qu’entends-tu par “la magie de la presse” ? 

Il y a bien entendu l’inversement, ce qui est noir devient blanc, tout ce qui est blanc devient noir, ce qui est à droite passe à gauche, etc. C'est un truc auquel on ne pense plus vraiment au bout d'un moment, c'est intégré. Ce qui n’est pas intégré, c'est qu’une fois imprimé, le résultat peut être décevant ou au contraire excitant. En général, le moment du premier tirage est décisif, c'est un moment assez magique où tu croises les doigts pour que ça se passe bien. 

Je suis quand même plus souvent content que déçu. Je suis pas dans un système absolu, je m'autorise l'erreur, je ne suis pas un industriel de la gravure, quand on part un peu trop loin, tant pis.


Quelle est ton intention à travers le portrait ?

Il y a une personne en face de moi, cette personne est en trois dimensions, nous sommes dans une pièce également en trois dimensions : il y a un volume, un espace et tout ça fait partie de mon approche. C’est quand tu arrives à capturer la trois dimensions et à la réduire en deux dimensions que tu parviens à saisir un peu de la vie et ça c'est extraordinaire quand tu y arrives.


Mais est-ce que ça vient de là le portrait, dans ton travail ? Est-ce que ça vient de ta volonté de capturer cette vie-là ?

Pour la gravure Timbuktu sur l’affiche d’exposition, il s’agit d’une amie. Elle est dotée d'une grande souplesse, ce qui lui a permis de tenir la pose, comme ça, sans bouger pendant suffisamment longtemps pour que je puisse la dessiner. Avant tout cela, c’est une personne que je connais, avec qui j’ai parlé, c'est dans un espace précis, à un moment précis. La gravure raconte plus que cette image, elle parle de la nécessité de l’instant. Il y a aussi un peu de moi dans chaque portrait, c’est moi qui dessine, qui grave et qui imprime, c’est par mon regard que se dessine l'œuvre. Ça raconte une rencontre, un moment de flirt avec la personne en face de nous. C’est un moment unique que je grave. Le titre a également toute son importance dans certaines de mes œuvres comme par exemple La distance entre toi et moi. Cette gravure, c’est le portrait d’une jeune femme japonaise, cette fille je ne la connaissais pas vraiment, on se croisait tous les jours et je lui ai timidement demandé de poser pour moi. En fait, j'ai compris plus tard que le portrait c'était pas seulement elle, c'était la distance entre elle et moi. Nos cultures sont différentes, le fait qu'on soit pas de la même génération, qu'on ne parle pas la même langue, tout ça, c'est intégré dans l'image. C'est vraiment une expérience humaine, ce n’est pas juste un dessin qui va devenir une gravure, il y a une histoire derrière chaque image. Il y a un travail narratif dans mes gravures, c'est ça qui fait la force de certains de ces portraits, ce sont des gens que j'ai croisés à New York, venant de tous de milieu, de tout âge. Les personnes sont réelles. Les modèles ne sont pas inventés, ils existent. Je me suis servi de ce que j'avais sous la main, c'est-à-dire les gens de mon entourage et puis pour ce qui est du dessin dans les rues, je me suis appris à dessiner tout seul en dessinant les gens qui dormaient dans les bus ou sur les trottoirs. J'ai fait des centaines de dessins comme ça.


Pour accéder à la bio de l'artiste :



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